REFLEXIONS
Accueil du site > MONDE > IRAN, vers une Communauté Internationale Post-Occidentale

IRAN, vers une Communauté Internationale Post-Occidentale

par Alain Gresh

dimanche 30 mai 2010, par Zaky

Depuis des mois, les Etats-Unis et la France se targuent du consensus de la communauté internationale pour tenter d’obtenir que le Conseil de sécurité des Nations unies adopte des sanctions contre l’Iran. Pourtant, malgré tous leurs efforts, la date de cette adoption est sans arrêt reportée. On évoque désormais juin 2010. Et si ce report régulier traduisait, justement, l’absence de consensus international, malgré le ralliement de la Russie à la position occidentale ?

« Les grandes puissances se discréditent » auprès de l’opinion publique en ignorant l’initiative irano-turco-brésilienne, a déclaré Ali Akbar Salehi, chef de l’organisation iranienne de l’énergie atomique (AFP, 19 mai). C’est « un camouflet pour les puissances émergentes », a insisté pour sa part l’ancien ambassadeur de France à Téhéran François Nicoullaud, sur RFI, le 19 mai. Pour l’éditorialiste du New York Times Roger Cohen (« America Moves the Goalposts », 20 mai), « le Brésil et la Turquie représentent le monde émergent post-occidental. Et il va continuer à émerger. Hillary Clinton devrait être moins irresponsable en torpillant les efforts de Brasilia et d’Ankara et en rendant hypocritement hommage à leurs efforts sincères. » La capacité des Etats-Unis à imposer leur solution, poursuit-il, est sérieusement érodée.

Tous trois réagissaient au dépôt par les cinq membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU d’une résolution durcissant les sanctions contre l’Iran. L’accord tripartite signé à Téhéran n’a pas fini de soulever des vagues. Son importance ne peut être sous-estimée, car il signe sans doute la fin de la « communauté internationale » derrière laquelle les Etats-Unis et l’Union européenne s’abritaient pour mener leur politique.

Quelques heures avant cette signature, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton avait appelé son homologue turc pour tenter de le dissuader ; elle avait prédit que la médiation échouerait et avait déclaré devant des journalistes : « Chaque étape a démontré clairement au monde que l’Iran ne s’engage pas de la manière que nous avons demandée et que le pays continue son programme nucléaire » (cité par Stephen Kinzer, « Iran’s nuclear Deal », The Guardian, 17 mai 2010).

Pour sa part, le ministre français des affaires étrangères, Bernard Kouchner, avait accusé le président Lula de se laisser abuser par l’Iran, s’attirant une vive réplique de l’intéressé : « Personne ne peut venir me donner des leçons sur l’armement nucléaire. (...) Chaque pays se charge de sa politique internationale et le Brésil est conscient d’être majeur. » Au Brésil même, quelques journaux relayaient la campagne des néoconservateurs américains et comparaient Lula à Neville Chamberlain, le signataire britannique des accords de Munich de 1938 !

    Au-delà de l’accord lui-même, c’est le rôle joué par deux puissances émergentes, proches des Etats-Unis, qui attire l’attention. Pour la première fois peut-être depuis la fin de la guerre froide, dans une crise internationale majeure, ce ne sont ni les Etats-Unis ni les Européens qui ont joué un rôle moteur dans des négociations pour sortir de l’impasse.

Ce « vide » européen et français – perceptible sur d’autres dossiers, notamment sur le dossier israélo-palestinien –, allait permettre à des puissances comme le Brésil ou la Turquie de s’affirmer sur la scène iranienne et d’obtenir l’accord du 17 mai.

Que dit le texte signé sous leur égide ? D’abord que, conformément au TNP, l’Iran a droit à l’enrichissement ; ensuite, que le pays accepte l’échange de 1 200 kilos d’uranium faiblement enrichi (UFE) contre 120 kilos d’uranium enrichi (UE) à 20%, indispensables au fonctionnement de son réacteur de recherche ; que les 1 200 kilos d’UFE seraient stockés en Turquie, le temps que l’Iran reçoive ces 120 kilos d’UE ; que l’Iran transmettrait à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dans la semaine suivant le 17 mai, une lettre officielle formalisant son accord. En renonçant à une partie importante de son uranium, Téhéran limite sérieusement ses capacités à produire une bombe.

    Rappelons ce qu’est le réacteur de recherche de Téhéran. C’est un réacteur installé avant la révolution pour fabriquer des isotopes nécessaires contre le cancer. Jusqu’à présent, ce réacteur s’était fourni sur le marché pour obtenir l’uranium enrichi à 20% nécessaire à son fonctionnement. Ce sont les pressions des Etats-Unis (pourtant à l’initiative de la création de ce réacteur) qui empêchent l’Iran d’obtenir désormais le combustible nécessaire.

Pris au dépourvu, les diplomates européens et américains (et les médias) ont mis au point une stratégie pour le moins étrange :

- féliciter (avec plus ou moins de chaleur) le Brésil et la Turquie pour leur efforts ;

- affirmer que l’accord du 17 mai ne change rien sur le fond et ne résout pas la crise ;

- maintenir l’idée que seules les sanctions seront efficaces, et donc déposer un projet en ce sens au Conseil de sécurité (PDF).

 

Voir en ligne : Blog du Diplo


 

 
 
 
SPIP | Espace privé | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0