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CIA, vols secrets

par Ignacio Ramonet

jeudi 1er mars 2007, par Zaky

Indécence ? Cynisme ? Perversion ? Comment qualifier l’attitude des gouvernements européens surpris en flagrant délit de complicité avec des services étrangers dans l’enlèvement clandestin de dizaines de suspects traînés vers des prisons secrètes et livrés à la torture ? Peut-on imaginer plus flagrante violation des droits de la personne humaine ?

Deux événements récents témoignent de la schizophrénie ambiante. D’abord, le 7 février dernier à Paris, la signature solennelle par la plupart des gouvernements européens de la convention de l’Organisation des Nations unies (ONU) contre les « disparitions forcées » [1], qui criminalise l’usage des prisons secrètes. Puis, le 14 février, au Parlement européen de Strasbourg, l’adoption d’un rapport [2] qui accuse ces mêmes gouvernements de complicité avec la Central Intelligence Agency (CIA) américaine dans des opérations d’enlèvements clandestins.

    Selon ce rapport, entre 2001 et 2005, les avions de la CIA auraient fait pas moins de mille deux cent quarante-cinq escales dans des aéroports européens, avec souvent à leur bord des suspects victimes de « disparitions forcées » acheminés clandestinement vers le bagne illégal de Guantánamo ou vers des prisons de pays complices (Egypte, Maroc) où la torture se pratique habituellement.

Il est désormais évident que les gouvernements européens n’ignoraient rien de la nature criminelle de ces vols secrets. Certains d’entre eux ne se sont d’ailleurs pas contentés de fermer les yeux. Ainsi, la Pologne et la Roumanie sont particulièrement suspectées d’avoir aménagé sur leur sol de « petits Guantánamo » où étaient incarcérées, en attendant leur transfert définitif, des personnes enlevées au Pakistan, en Afghanistan ou ailleurs.

Le gouvernement britannique est soupçonné d’avoir participé à l’enlèvement de suspects et à leur mauvais traitement. De même que les gouvernements suédois et autrichien. Quant aux autorités allemandes, elles sont accusées, entre autres, de « ne pas avoir ignoré » l’enlèvement d’un de leurs ressortissants, d’origine libanaise, M. Khaled Al-Masri, transféré en Afghanistan. Les services secrets italiens sont, eux aussi, accusés d’avoir aidé des agents de la CIA à enlever clandestinement, à Milan, l’imam Hassan Moustapha Ossama Nasr, dit « Abou Omar », transféré en Egypte, où il aurait été torturé et violé [3].

Cette massive violation des droits humains n’a pu se faire sans que les services du haut représentant pour la politique étrangère de l’Union européenne, M. Javier Solana, ainsi que ceux de son collaborateur, le coordinateur européen de la lutte antiterroriste, M. Gijs de Vries, en aient eu connaissance. M. de Vries, en un geste éloquent, a choisi de démissionner : « Les Etats démocratiques, a-t-il averti, doivent mener leur combat antiterroriste dans le cadre du respect des lois (...). L’accumulation des mauvais traitements d’Abou Ghraib, des abus de Guantánamo et des enlèvements de la CIA a miné la crédibilité des Etats-Unis et de l’Europe [4]. »

Tous ceux, dirigeants ou exécutants, qui ont participé à ces enlèvements doivent craindre la justice. Et méditer sur le destin de Mme María Estela Martínez, dite « Isabelita Perón », ancienne présidente de l’Argentine, pays où, au nom de l’antiterrorisme, les autorités pratiquèrent massivement les enlèvements politiques. Elle vient d’être arrêtée à Madrid, accusée de la « disparition forcée » d’un étudiant, Héctor Faguetti, en février 1976, il y a donc trente et un ans... La justice est lente, mais elle doit être inexorable.

- Ignacio Ramonet
 
 

Voir en ligne : Le Monde Diplomatique


 

Notes

[1] Une soixantaine de pays – dont le Chili, l’Argentine et l’Uruguay, mais pas les Etats-Unis – l’ont signée. Au moins vingt Etats devront ratifier la convention pour qu’elle entre en vigueur.

[2] Disponible sur www.europarl.europa. eu , ou à télécharger ci-contre

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[3] Un tribunal de Milan a entamé, le 16 février dernier, une procédure judiciaire contre vingt-six agents américains de la CIA et plusieurs membres des services secrets italiens accusés d’avoir organisé en février 2003 la « disparition forcée » de l’imam Abou Omar.

[4] El País, Madrid, 17 février 2007.


 
 
 
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