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Les néo-conservateurs prêts à sacrifier les Républicains

par Jürgen Cain Külbel

jeudi 30 novembre 2006, par Zaky

Ayant anticipé la défaite républicaine, les néoconservateurs et leurs sponsors avaient effectué un retournement d’alliance tactique, dénonçant la politique de l’amdinistration Bush dont ils étaient pourtant les inspirateurs et soutenant plus ou moins tacitement le camp démocrate. Leurs objectifs stratégiques restent toutefois les mêmes. Jürgen Cain Külbel analyse cet ajustement politique opportuniste mais rappelle que quels que soient leurs alliés, les néoconservateurs sont lancés dans une fuite en avant.

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David Frum, Kenneth Adelman et Richard Perle

Rien ne pouvait aller plus mal aux récentes élections du Congrès pour le président George W. Bush, guignol des seigneurs de l’extrême droite de l’Amérique, les « néoconservateurs ». Son parti, qui s’est donné l’aura des puritains, est actuellement en train de récolter les fruits de ses actes aventureux tels que la situation en Irak, un deuxième Vietnam. Ce parti doit rendre compte de la corruption flagrante et des scandales spectaculaires du lobbyiste Abramoff et du gouverneur de l’Ohio, Bob Taft. Le parti de Bush a subi pour la première fois depuis douze ans une défaite cuisante et a perdu la majorité au puissant Sénat, ainsi qu’à la Chambre des Représentants états-uniens.

En effet, sur le plan international il y a un tournant : le Président de l’État le plus puissant du monde, George W. Bush, est désormais considéré par les habitants du globe comme un « mauvais garçon ». Lui qui avait encore pompeusement présenté en 2002 Cuba, la Libye, la Syrie, l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord comme faisant partie de « l’Axe du mal », représente d’après un sondage téléphonique (commandé par le Guardian (Royaume-Uni) [1] conjointement avec le Toronto Star et La Presse (Canada), Reforma (Mexique) et Ha’aretz (Israël), un grand danger pour la paix mondiale, pratiquement au rang des grands terroristes comme Oussama Ben Laden. 87% des sondés considèrent le très « virtuel » Ben Laden dangereux pour la paix mondiale, Bush récolte 75% ! Bush est perçu par l’« opinion publique occidentale » comme plus dangereux que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad (69%), et plus dangereux que le chef d’État nord-coréen Kim Jong Il ou le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah (65%), méprisé par les « démocraties occidentales ».

Un sondage effectué par téléphone (commandé par la Commission européenne) entre le 8 et le 16 octobre 2003 dans les 15 États de l’Union européenne, avait alors déjà montré que 59 % des personnes interrogées, citoyens de l’UE, considéraient Israël comme le plus grand danger pour la paix mondiale. Le deuxième rang était allé à un « axe du mal » légèrement modifié, se composant de l’Iran, de la Corée du Nord et étonnamment des États-Unis avec 53% ! [2]. Le Président de la Commission européenne de l’époque, Romano Prodi, ignora ce sondage significatif [3] suite aux critiques arrogantes d’Israël [4], car il savait que les résultats ne reflétaient pas « l’opinion » de la Commission européenne et n’auraient pas non plus d’influence sur sa politique au Proche-Orient. Ce sondage a été jeté aux oubliettes pour qu’Israël échappe à la stigmatisation. Mais une chose est incontestable : la réputation de l’administration états-unienne actuelle est tombée au plus bas.

L’économie états-unienne tourne le dos aux néoconservateurs.

La question cruciale que l’on se pose est de savoir où se dirigera dorénavant le navire de cette camarilla exaltée, de ces néoconservateurs qui voulaient dépouiller la planète et exporter la démocratie dans le monde sous prétexte de mener « la guerre contre le terrorisme », une guerre qui est en vérité « une guerre contre des sociétés et contre des communautés, une guerre qui a été élaborée cyniquement pour détruire entièrement des pays et des peuples » ? Cette « bande de monstres », comme l’a qualifiée en 2005 Youssef Aschkar, historien libanais et anthropologue, « un État dans l’État » [5] qui s’est imposé dans toutes les fonctions clés les plus élevées des États-Unis, dans la société, les médias, les associations religieuse, au sein du Pentagone et du département d’État auxquels il dicte ses plans et ses projets.

Un des ennuis pour l’entourage de Bush est le fait que les trusts et les fédérations industrielles et économiques ont déjà misé, fin octobre 2006, sur une victoire des démocrates et ils ont réexaminé leur relation avec l’establishment politique et diminué par précaution leurs dons financiers aux républicains de Bush. Le New York Times a rapporté que « les lobbyistes seraient déjà fortement occupés à recruter les futurs hommes politiques prometteurs dans les rangs des démocrates » [6] . Selon le journal, les dépenses pour les candidats républicains avaient diminué, entre le 1er et le 18 octobre, d’environ 11 % au profit des démocrates. C’est un changement comme on n’en avait pas vu depuis 1994. Même le trust d’armement Lockheed Martin qui fait parvenir 70% de ses dons financiers aux républicains, a réduit au cours des premiers jours d’octobre ses dons au profit des démocrates ; ceux-ci ont reçu 60 % des dons de l’entreprise Lockheed Martin.

Ainsi, il n’est pas étonnant que quelques-uns des néoconservateurs qui avaient, en 2003, approuvé les justifications politiques de la campagne contre Saddam Hussein, aient déjà quitté (par précaution) début novembre 2006 le navire de guerre Bush, qui est en train de sombrer. Richard Perle, le porte-parole le plus important de la guerre contre l’Irak, a déclaré hypocritement à la revue Vanity Fair, qu’« il n’aurait pas soutenu la guerre contre Saddam Hussein s’il avait su à quel point le gouvernement Bush la mènerait mal. Après tout c’est le Président qui est responsable de cette débâcle » [7]. Kenneth Adelman, conseiller politique en matière de sécurité du gouvernement, a même jugé que le gouvernement Bush s’est avéré être « d’une incompétence manifeste ; du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale ». David Frum, l’ancien auteur des discours de Bush, qui avait participé à la mise au point du discours sur « l’Axe du mal », a commencé à critiquer ouvertement l’ancien boss pour lequel il avait travaillé auparavant avec dévouement. Il a déclaré que : « Même si le Président a prononcé ses discours, il semble qu’il n’ait pas saisi le sens des mots ».

Norman Podhoretz (né en 1930), légende vivante du néoconservatisme, un des pères fondateurs de ce mouvement, ne veut absolument rien savoir de tout cela. Il affirme dans son article du mois de septembre dans le Commentary que la doctrine de Bush vivrait encore longtemps ; tout n’est qu’un malentendu, une appréciation incorrecte de la personne du Président. Le néo conservatisme vit ; même si de plus en plus de collaborateurs disparaissent dans la nature [8]. Podhoretz s’oppose à la critique selon laquelle la doctrine de Bush a mal fonctionné en Irak et lui oppose son argument fallacieux : « Au moins l’Irak a été libéré de l’un des plus mauvais tyrans du Proche-Orient ; trois élections ont été tenues ; une constitution raisonnable est adoptée ; un gouvernement y œuvre ; les citoyens jouissent des libertés, inexistantes auparavant. » Pourquoi ce constat positif de Podhoretz a-t-il alors conduit à un échec ? A ses yeux, la résistance en Irak n’est que le résultat du succès de la stratégie états-unienne. Si les résistants étaient convaincus que « la démocratisation a déjà échoué, pourquoi continueraient-ils à combattre si farouchement contre cette présence » ? En dépit de toutes les erreurs politiques et stratégiques de Bush, Norman Podhoretz, étrangement, continue à le soutenir dans son aventure irakienne. Podhoretz ne semble se rendre compte, ni de la perte du pouvoir des États-Unis, ni de la fatigue de l’armée, ni du désir de la population américaine de voir se retirer les soldats ; quant à la politique étrangère du gouvernement Bush, elle est en pleine déroute.

Le naufrage du Project for a New American Century.

Et pourtant cela va mal. Les cartons de déménagement commencent à se remplir au cinquième étage du 1150, 17th Street NV, Washington, DC. Pendant plus de neuf longues années, quelques dizaines de néoconservateurs fabulaient ici sur le Project for New American Century(PNAC). Ce très important think tank qui produisait en continu des « études » et des « documents stratégiques » ne fonctionne plus faute d’argent.

Mais le vrai problème est l’Irak. Le projet central du PNAC, la « transformation démocratique de la Mésopotamie », s’est développé dans une mauvaise direction et a conduit les théories de bureau des néoconservateurs jusqu’à l’absurde. La thèse consistant à imposer la démocratie en Irak par des militaires américains et à faire le pied de grue avec des hamburger et du Coca en attendant l’effet domino dû à l’attrait de la démocratie à l’américaine sur toute la région, s’est avérée être du vent.

Tout avait pourtant si bien commencé. Robert Kagan, un des maîtres à penser des néoconservateurs, avait créé PNAC, en 1997 dans l’ombre de la future administration Bush, en compagnie de William Kristol, un des néoconservateurs qui fabule le plus. Le projet envisageait le règne absolu des États-Unis d’Amérique sur les évènements mondiaux (la Pax Americana) dans un « nouveau siècle américain » et prévoyait un leadership des États-Unis d’Amérique sur le monde entier au moyen « d’un pouvoir militaire, d’un apport diplomatique et de la dévotion aux principes moraux ». Puisque « le monde multipolaire n’assure pas la paix, mais a toujours conduit à des guerres, le gouvernement des États-Unis devrait, capitaliser sur sa supériorité technologique et économique pour atteindre la supériorité incontestée par une intervention de tous les moyens – y compris militaire ». Au cas où la diplomatie s’avérerait infructueuse, « des actions militaires seront un moyen acceptable et même nécessaire ». Le PNAC souhaite la constitution de bases militaires mondiales et permanentes pour rendre les États-Unis inattaquable et voit leur pays, conformément à son auto-représentation, comme une « police mondiale » qui doit protéger le respect du droit et de la loi, dans un monde chaotique « hobbesien » dans lequel chacun se bat contre l’autre, bien évidemment sans aucune consultation avec les alliés, sans respect des organisations internationales, des accords ou autres obligations légales.

Les derniers soubresauts : la suprématie dans l’espace

Les étranges frimeurs despotiques du PNAC ne voulaient pas se satisfaire seulement de la Terre. Depuis des années, ils exigeaient le contrôle « des nouvelles sphères communautaires internationales, de l’espace et du monde virtuel » et la mise en place d’un nouveau genre militaire : les US Space Forces ayant pour mission de « contrôler l’espace, de le libérer ». Bush a dernièrement donné des assurances dans ce sens et a ainsi confirmé la thèse de Podhoretz selon laquelle sa doctrine est encore vivante et au service des néoconservateurs. Le 7 octobre 2006, vers 5 heures de l’après-midi, le gouvernement américain publiait, en fait en douce sur Internet, la nouvelle « National Space Policy » [9] approuvée par le président, dans laquelle Bush s’est hissé, pour ainsi dire, au rang de « dirigeant de l’univers » en proclamant comme politique officielle la domination de l’espace par les États-Unis. Washington s’opposera, selon la « doctrine de l’espace », à tous les futurs accords de contrôle des armements qui pourraient nuire à la liberté de mouvement des États-Unis dans l’espace. L’accès à l’espace devrait être bloqué aux nations qui ne se sont pas comportées conformément aux intérêts de Washington : « La liberté d’action dans l’espace est pour les États-Unis aussi importante que les actions dans l’air ou sur mer. Les États-Unis s’opposeront à l’élaboration de nouvelles conventions juridiques ou d’autres restrictions qui veulent empêcher ou limiter leur accès à ou à son utilisation »

- Jürgen Cain Külbel
Journaliste indépendant et écrivain.

Voir en ligne : VoltaireNet


 

Notes

[1] « British believe Bush is more dangerous than Kim Jong-il : Which leader poses a danger to world peace ? : US allies think Washington is a threat... », The Guardian, 3 novembre 2006.

[2] « Un sondage européen range les États-Unis parmi les pays dangereux pour la paix dans le monde », Le Monde, 1er novembre 2003.

[3] « Sondage des Européens sur Israël - Romano Prodi se dit "très préoccupé" », AFP, 4 novembre 2003 ; « Israël, une menace pour la paix ? Malaise autour d’un sondage européen » et « Sondage de la discorde entre l’Europe et Israël », Le Temps, 5 novembre 2003 ; « Embarras à Bruxelles après le sondage désignant Israël comme fauteur de guerre », Le Monde, 6 novembre 2003.

[4] « Le centre Simon Wiesenthal dénonce un sondage européen sur Israël » et « Sondage de l’UE - dans le "seul but de dénigrer Israël" (ambassadeur) », AFP, 1er et 3 novembre 2003. « Accusation d’antisémitisme », Le Figaro, 3 novembre 2006 ; « Israël « outragé » par les résultats d’un sondage auprès des Quinze », Le Temps, 3 novembre 2006.

[5] « Palestinians will never surrender », entretien de Silvia Cattori avec Sattar Kassem, 12 septembre 2006. La traduction en Français de cet entretien est disponible ici.

[6] « Democrats Get late Donations From Business » par Jeff Zeleny et Aron Pilhofer, New York Times, 28 octobre 2006.

[7] « Neo Culpa » par David Rose, Vanity Fair, 3 novembre 2006.

[8] « Is the Bush Doctrin Dead ? », par Norman Podhoretz, Commentary, septembre 2006.

[9] Document téléchargeable.


 
 
 
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