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ALGERIE

L’armée, la nation et la politique

par Lahouari Addi

mardi 29 juin 2004, par Zaky

L’Algérie est un pays autoritaire où il est interdit de faire de la politique. Cette phrase paraîtra excessive au regard de la liberté d’expression dont semble jouir la presse, notamment Le Jeune Indépendant qui n’a pas la langue dans la poche quand il s’agit de critiquer la politique menée par les autorités. Mais la phrase n’est pas excessive si l’on définit la politique comme étant l’activité libre et publique de désignation des responsables, et en premier, du Chef de l’Etat.

Celui-ci est nommé depuis l’indépendance par l’armée qui le fait plébisciter pour lui donner une légitimité électorale. Cette façon de faire a perpétué un régime qui s’est coupé de la population depuis au moins 1978 et qui fait courir au pays les plus graves dangers.

De quoi s’agit-il ? L’Algérie s’est libérée d’un système colonial grâce au FLN-ALN dont l’objectif était double : l’indépendance du pays et la modernisation sociale et politique de la société.

Le premier objectif ayant été atteint, la génération des moudjahidines a opté en 1962 (le Programme de Tripoli) pour un régime de parti unique dans lequel l’ANP, en tant qu’héritière de l’ALN, a joué le rôle de garant de la Révolution et de dépositaire de la légitimité historique incarnée à l’époque par le Colonel Houari Boumédiène dans lequel les masses populaires se reconnaissaient. Son modèle de modernisation a cependant échoué au vu des résultats économiques et sociaux. Mais Boumédiène a été un grand patriote sincère et idéaliste à qui il manquait les capacités intellectuelles pour être un homme d’Etat à la stature de Massinissa ou de Abdelmoumene. Il n’avait jamais lu Ibn-Khaldoun et n’avait jamais entendu parler de Thomas Hobbes.

Rusé pour commander les clans et les hommes, Boumédiène s’était révélé naïf en croyant pouvoir gérer le pays avec la foi et non les institutions. Le fonctionnaire, répétait-il, doit être un militant intègre, engagé et compétent. En politique, cela s’appelle de l’idéalisme.

A sa mort, les militaires ont refusé de désigner à sa place un officier susceptible de combler le vide qu’il a laissé. Ils ont alors coopté le Colonel Chadli Bendjedid qui avait des qualités humaines incontestables de père de famille mais ne savait pas ce qu’était un Etat.

Treize années après, l’armée l’a écarté parce qu’elle l’avait soupçonné de vouloir respecter les résultats électoraux de décembre 1991. Il n’a manifesté aucune résistance et aucune volonté, et depuis il vit retiré, sans sentir le besoin de donner son opinion. Cela prouve qu’il n’est pas un homme politique et qu’il conçoit la fonction suprême comme une fonction administrative.

Son successeur fut Mohamed Boudiaf, chef historique du FLN, rappelé d’exil pour s’opposer à la légitimité électorale. Boudiaf voulait être président, ne serait-ce qu’un jour. Dès que l’armée le lui a proposé, il a oublié ce qu’il avait déclaré à Jeune Afrique une semaine auparavant, à savoir que "l’armée devrait respecter les résultats des urnes". Incohérent et très imbu de sa personnalité, Boudiaf portait un passé historique trop lourd pour lui. Mais sa mort a été une profonde injustice car le personnage était un symbole, celui du FLN historique.

Ali Kafi lui a succédé à la direction du Haut Comité d’Etat, monstruosité anti-constitutionnelle créée à la hâte en janvier 1992 pour donner une couverture légale au viol de la constitution. Il faut rappeler que Ali Kafi a insulté il y a quelques mois la mémoire de l’un des plus grands dirigeants de la révolution, Abbane Ramdane. C’est le seul fait d’armes que nous lui connaissons après l’indépendance. Il a été remplacé par le général Liamine Zéroual qui avait suscité des espoirs. Mais il avait très vite déçu, s’étant révélé incapable de s’imposer à ses collègues. N’étant pas d’accord avec ces derniers quant à la sortie de crise, il a préféré démissionner au lieu de s’opposer aux louches tractations entre une branche de la SM et l’AIS. Zéroual est célèbre pour ses démissions. Il a démissionné de tous ses postes. A la présidence, il aurait pu jouir de soutiens nombreux dans la société pour ramener la paix, mais il a préféré se retirer dans son Aurès natal.

Mais là où l’armée a fait fort, c’est quand elle a désigné Abdelaziz Bouteflika dont la mission est de protéger les officiers supérieurs des pressions des ONG internationales de droits de l’homme. Bouteflika a reconnu récemment qu’il ne savait rien faire... sauf parler. Aucun de ses discours et promesses n’ont été suivis d’effet. C’est la première fois dans l’histoire qu’un président est en même temps ministre des affaires étrangères. Il ne rate aucune réunion internationale, et passe plus de temps à l’étranger que dans le pays. Coupé des réalités nationales, comme tous ses collègues avec qui il est ministre depuis 1963, Bouteflika n’a jamais travaillé, n’a jamais fait le marché et ne sait pas ce qu’est la vie quotidienne. L’Etat l’a toujours entretenu en lui fournissant une domesticité nombreuse. Ceci est vrai pour tout le personnel du régime vivant dans une autre planète.

Depuis la mort de Boumédiène, l’armée n’a désigné que des présidents sans envergure, à l’exception de Boudiaf que son ego étouffait. Encore que ce n’est pas l’armée qui désigne les présidents ; c’est une coterie dans l’armée, c’est-à-dire un groupe d’officiers actionnant des relais dans ladite « société civile » en utilisant les moyens de l’Etat. En fait, l’armée se comporte comme un parti politique défendant un régime auquel elle s’identifie. Cela pose le problème de la formation idéologique des officiers incapables de faire la différence entre la République, communauté de tous les courants politiques nationaux, et le régime, groupe d’hommes organisés en réseaux pour demeurer indéfiniment aux commandes de l’Etat.

Malgré les déclarations contraires de ses chefs, l’armée fait de la politique, et bien plus grave, interdit à tout Algérien d’en faire, empêchant ainsi l’émergence d’élites représentatives susceptibles de diriger l’Etat. L’armée a un instrument pour accomplir cette tâche, la Sécurité Militaire, véritable police politique au dessus de l’Etat. Sa mission essentielle est de contrôler les partis alibis (RND, MSP, MDS...) ainsi que le secrétariat de l’UGTA, de noyauter la presse, d’infiltrer toute association susceptible de constituer une menace pour le régime. Le jour où l’histoire de la SM sera écrite, les Algériens (y compris les militaires) seront édifiés.

Pour mettre fin au syndrome de Saddam Hussein (la survie du régime au détriment de l’avenir du pays), il est nécessaire que l’armée redéfinisse son rôle institutionnel pour s’engager à :

  1. défendre les frontières du pays
  2. assurer à l’Etat l’exercice du monopole légal de la violence
  3. aider la police et la gendarmerie, si nécessaire, à protéger la paix civile
  4. garantir l’alternance électorale en cas d’annulation des échéances électorales par un parti au pouvoir.

Il appartient à l’armée de passer ce pacte nouveau avec la Nation dont elle est issue afin de rétablir la confiance entre elle et la société. A cette fin, la hiérarchie militaire doit envoyer un signal fort en direction de la société civile en proclamant solennellement la dissolution complète et totale de la Sécurité Militaire, ce qui libèrerait des énergies formidables pour la reconstitution d’un champ politique exprimant les courants réels de la société. Dissoudre la SM signifie mettre fin aux activités illégales du DRS, de la DCE, du DRA et d’autres structures inconnues du public qui interviennent dans la vie politique. Tous ces services devront être remplacés par un seul organe qui ne s’occupera que de la protection de l’armée en tant qu’institution, du moral des troupes et du contre espionnage.

- Professeur Lahouari Addi
Article paru dans Le Jeune Indépendant (édition spéciale avril 2003 "élections 2004")


 

P.-S.

Lahouari Addi
Professeur des Universites (IEP de Lyon), Membre de l’Institute for Advanced Study (Princeton, USA)


 
 
 
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